>>De la « Voix de la Chine libre » à « Radio Taiwan International », le cheminement de la seule radio taiwanaise à diffuser à l’étranger est révélateur de l’évolution politique du pays
Radio Taiwan International (RTI) est la seule station de radio à diffuser en français. Avec le mensuel Taiwan aujourd’hui et le site Internet TaiwanInfo, elle constitue l’une des rares sources d’information en langue française concernant l’île. Elle est diffusée principalement sur ondes courtes et moyennes mais également sur Internet depuis 2001, ce qui lui permet de toucher un public plus large, à l’étranger comme dans l’île.
A l’instar de nombreuses autres radios publiques diffusant vers le reste du monde, Radio Taiwan International se veut le reflet de l’actualité sociale, économique, politique, culturelle, technologique du pays d’où elle émet. Elle peut être aussi une source unique d’informations sur le monde extérieur dans certains pays où les nouvelles ne circulent pas librement.
De la voix du gouvernement à la voix de Taiwan
RTI fait partie de Central Broadcasting System (CBS), un organisme financé par l’Etat et placé sous la responsabilité de l’office d’Information du gouvernement. Cette année sont célébrés les cinq ans de RTI sous sa forme actuelle, c’est-à-dire celle d’une organisation à but non lucratif. Avant 1998, les émissions en langues étrangères étaient diffusées par Broadcasting Corporation of China (BCC), l’organe de propagande du Kuomintang. La radio s’appelait alors Voice of Free China.
L’addition progressive de langues étrangères autres que l’anglais témoigne de l’évolution des relations diplomatiques de Taiwan, mais aussi de l’identité que s’est forgé le pays au cours des cinquante dernières années. En 1949, c’est l’anglais et le japonais, deux langues primordiales à cette époque pour des raisons historiques et politiques claires, qui démarrent la diffusion à l’international de cette radio d’Etat. Arrive ensuite l’arabe en 1950, en raison des alliances politiques que le gouvernement de Tchang Kaï-chek entretient alors avec les pays du Moyen-Orient. Dans le monde bipolaire qui se dessine, ceux-ci choisissent leur camp – un camp opposé à celui de la Chine communiste. En ce temps-là, l’Arabie saoudite, la Jordanie, le Koweït, la Libye, le Liban, la Turquie ou encore l’Iran reconnaissent la République de Chine. Les intérêts pétroliers en jeu favorisent également l’un des tout premiers choix linguistiques de la station nationale.
Suivent les langues parlées dans les pays voisins : le vietnamien en 1953, l’indonésien en 1957 (une part prépondérante des auditeurs aujourd’hui), le coréen en 1961. Le français et le thaï font leur apparition en 1963, puis ce sont les programmes en espagnol qui voient le jour en 1976, recouvrant une aire importante de diffusion vers l’Amérique latine, où Taipei conserve aujourd’hui encore un grand nombre d’alliés. Plus tardivement, d’autres langues européennes viennent s’ajouter à la palette : l’allemand en 1986 et le russe en 1987.
La dernière langue arrivée en date, le birman, en l’an 2000, fait de RTI une source d’information primordiale pour les auditeurs du Myanmar, fonctionnant ainsi pour eux comme une fenêtre sur le monde et une radio de référence, un peu à la manière de Radio France Internationale en Afrique. C’est aussi le cas dans une moindre mesure des programmes de RTI en vietnamien et en thaï.
Ce n’est qu’en 1998 que l’appellation Voice of Free China, politiquement désuète, est abandonnée ; la programmation en langues étrangères passe alors sous l’égide de CBS, sous le nom de Radio Taipei International, avant d’être rebaptisée en juillet 2003 Radio Taiwan International.
Vers une plus grande objectivité
L’année 2003 a vu des changements à la tête de CBS-RTI : l’avocat des droits de l’homme Lin Feng-jeng [林峰正](ancien président de l’Association des droits de l’homme de Taiwan) a remplacé Chou Tian-rey [周天瑞] à la présidence du conseil d’administration. Depuis le mois d’août, c’est Cheryl Lai [賴秀如], une figure de la presse écrite, co-fondatrice en 1995 de l’Association des journalistes de Taiwan, qui dirige RTI. Elle aussi est passée par l’Association des droits de l’homme de Taiwan, dont elle a assumé les fonctions de présidente adjointe. Les pouvoirs publics, qui possèdent encore une influence prépondérante sur le choix des dirigeants de la radio, affichent ainsi clairement leur désir de valoriser les libertés individuelles et les droits sociaux – une politique maintes fois réitérée par le Parti démocrate-progressiste depuis l’élection de Chen Shui-bian à la présidence en 2000.

Lin Feng-jeng (à d.),le président du conseil d’administration de CBS-RTI, signe un accord de coopération avec un représentant de Radio Burkina. RTI joue désormais à fond la carte internationale en forgeant des alliances avec d’autres radios de par le monde.
Mais ce principe de défense des droits civiques et sociaux, auquel tient tant la formation au pouvoir, doit-il vraiment être prioritaire pour une station de radio publique ? Si la question reste posée, au moins peut-on constater que les deux nouveaux dirigeants de CBS-RTI nourrissent des ambitions plus larges pour cette structure. Le prédécesseur de Lin Feng-jeng, issu du monde des médias, avait initié une refonte complète de la partie actualités en langue chinoise. En revanche, la partie thématique, sous laquelle se trouve placée toute la diffusion en langues étrangères, avait été négligée : au cours de ces dernières décennies, les changements dans l’organisation ou la structure des programmes en langues étrangères ont été le seul fait d’initiatives provenant directement des animateurs de chacune des langues – ce qui, on l’imagine aisément, a entraîné un manque de cohérence certain.
Plus jeunes que leurs prédécesseurs, Lin Feng-jeng et Cheryl Lai pourraient redynamiser la station. Cette dernière a en tout cas décidé de jouer à fond la carte de l’international. RTI est après tout la seule radio taiwanaise à diffuser à l’étranger, du moins par la voie des ondes. Reste à voir si cette habituée des médias à l’international saura doter la station d’une vraie ligne rédactionnelle. Quant au président du Conseil d’administration, il souhaite développer le recours au numérique dans la diffusion. Une réflexion sur le sujet a d’ailleurs réuni les professionnels du secteur fin septembre. Les technologies numériques, bien moins coûteuses que les ondes courtes, pourraient permettre de focaliser les budgets sur le contenu et la qualité de la programmation.
Partenariats
Les neuf relais de CBS répartis sur l’île de Taiwan ne suffiraient pas à permettre une couverture mondiale. Huit d’entre eux diffusent vers l’Asie du Sud-Est et la Chine les informations et émissions en chinois mandarin et dans cinq autres langues chinoises, le neuvième, situé à Tainan, étant le seul dans l’île qui soit exploité pour diffuser vers le reste du monde. D’autres relais sont donc utilisés à l’étranger, les trois principaux étant implantés aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en France.
Depuis la renaissance de la radio il y a cinq ans, une trentaine de programmes de coopération ont été mis en place avec des stations étrangères pour assurer la diffusion en Europe, dans les Amériques, en Afrique et en Asie. Il s’agit principalement de liens développés avec des radios nationales diffusant elles-mêmes à l’étranger.
Cette coopération concerne essentiellement le volet technique, pour le partage des relais notamment, mais elle se prolonge parfois par la diffusion d’émissions ou la formation de personnel. Les derniers partenariats en date ont été signés au cours de l’été avec NEC, au Japon, et avec Radio nationale, au Burkina Faso. On peut également citer Radio Canada International en 1998, Deutsche Welle en 1999 et Radio France Internationale en 2000 qui ont initié une collaboration avec RTI.
Auditeurs, qui êtes-vous ?
Difficile d’estimer le nombre d’auditeurs pour une radio ondes courtes... Le baromètre de cette écoute, même très incomplet, reste encore le nombre de lettres reçues. Les émissions en mandarin attirent près du tiers des courriers, suivies par celles en indonésien, puis en anglais ; la programmation en français, elle, reçoit chaque mois deux à trois cents messages – lettres, courriels ou fax. Le recours croissant à Internet pour l’écoute des programmes devrait peu à peu permettre une estimation plus précise du nombre des auditeurs, même si pour le moment la diffusion en ondes courtes reste prépondérante.
C’est donc souvent par hasard que les auditeurs captent RTI ; certains écrivent régulièrement depuis plusieurs dizaines d’années, et font partie de clubs d’écoute, composés de véritables passionnés des ondes courtes par lesquelles ces radio-amateurs disent trouver ainsi un moyen idéal de voyager avec peu de moyens... Curieux d’autres cultures présentées sur les différentes stations internationales, ce public, masculin en majorité, pose des questions concernant essentiellement la société taiwanaise. Mais leurs lettres contiennent avant tout des « rapports d’écoute », où ces radiophiles donnent leur opinion sur le contenu des émissions écoutées, et surtout sur les conditions de réception – information primordiale pour vérifier la qualité d’écoute des transmissions et minimiser les perturbations, nombreuses sur ondes courtes. Plus rares sont les auditeurs qui se brancheront uniquement pour chercher des informations sur Taiwan.
Sans doute l’image quelque peu désuète de « la Voix de la Chine libre » persiste-t-elle dans les esprits, du moins en Occident. En revanche, en Asie, et notamment au Japon et dans les pays voisins de Taiwan, les auditeurs sont nombreux à écouter RTI pour suivre l’actualité de l’île, voire du monde dans le cas du Myanmar, de la Thaïlande et du Viêt-nam où l’information est soumise à la censure.
On sait que les émissions en langue française sont surtout suivies en France, en Afrique francophone, au Maghreb et au Canada. Des horizons divers, mais d’où les Chinois d’outre-mer francophones sont absents : ils suivent, eux, les émissions en chinois de CBS.

RTI diffuse en ondes courtes surtout vers l’Asie où se trouvent la majorité de ses auditeurs, mais aussi vers les Amériques, l’Afrique et l’Europe.
Une heure de diffusion quotidienne : c’est la formule adoptée pour la quasi-totalité des langues étrangères de RTI. Les programmes en français contiennent deux volets : un bulletin d’information quotidien, dans une première partie réservée à l’actualité, où est également présenté un « gros plan » ; puis une seconde partie, avec des émissions couvrant des sujets allant de la culture à l’économie, en passant par la société, les nouvelles technologies, l’histoire, la musique (tubes en vogue, chansons taiwanaises et musique traditionnelle chinoise et aborigène), sans oublier la politique, avec la question sensible des relations entre Taiwan et la Chine par exemple. Les cours de chinois attirent également un grand nombre de curieux.
Le contenu de la programmation peut différer d’une langue à l’autre. Par exemple, en anglais, les émissions sont plutôt tournées vers le divertissement, tandis que celles réalisées en allemand sont exclusivement à caractère informatif. Un ton encore peu uniformisé donc, qui s’explique peut-être par les réflexes propres aux animateurs de cultures différentes, mais aussi par la rapidité des changements intervenus au sein cette structure publique. Etrangement, l’hymne national continue de figurer en tête des programmes quotidiens, héritage suranné d’une époque révolue, qui survit – pour combien de temps encore ? – aux bouleversements qu’a connus la station.
Malgré tout, une certaine austérité domine au niveau du financement de la programmation, révélant un manque de ressources d’ailleurs fréquent dans les radios publiques à diffusion internationale. C’est dommage : Taiwan, qui accorde une importance toute particulière à son image sur la scène mondiale, serait bien inspirée d’exploiter davantage ce formidable outil qu’est la radio. ■
Note : le contenu et les heures de diffusion des
émissions en langues étrangères sont communiqués en
ligne sur le site de RTI : www.rti.com.tw